V I R E R   D E   B O R D

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Dans la conduite du bateau, les virements de bord constituent des moments particuliers : soit vent debout, soit vent arrière, le bateau franchit alors le lit du vent et change d'amure.  Les voiles, qui, sous une même amure, n'étaient soumises qu'à des changements d'orientation progressifs, passent ici plus ou moins rapidement d'un bord à l'autre du bateau.

Il y a dans ce mouvement un hiatus, un instant d'incertitude, dont il faut contrôler l'ampleur et les conséquences.

On peut virer de bord de deux façons, soit face au vent « virement vent debout », soit vent arrière « virement lof pour lof ».

Par défaut, quand on parle de virement de bord, sans autre précision, il s’agit d’un virement au vent debout.

 

Le lit du vent est une sorte de mur.

Louvoyer, c'est progresser au près de part et d'autre de ce mur.

Virer de bord vent debout, c'est sauter le mur sur son élan.

Le souci de la vitesse, comme à l'allure du près, est ici essentiel.

Pour virer de bord vent arrière (ou lof pour lof), la vitesse, en revanche, importe assez peu.  Il faut plutôt se soucier de contrôler rigoureusement son cap, car les embardées peuvent faire tout rater : au vent arrière, le bateau file en équilibre sur la crête du mur, et il s'agit de ne basculer ni d'un côté ni de l'autre.

Les deux modes de virement sont donc aussi différents que possible.

 

Pour les Grands Voiliers du début du 20ème siècle, les 3, 4 et même 5 mâts barque, cette manœuvre était délicate.

La méthode la plus rapide pour changer de bord consistait à virer debout au vent. Cette manœuvre pouvait se faire en moins de 15 minutes par bonnes conditions, mais pouvait aussi prendre plus d’une heure si le vent était trop irrégulier ou la mer trop mauvaise.

Par très gros temps ils étaient obligés de virer au lof arrière, ce qui était (et est toujours) une perte de temps et de distance quand on remonte le vent.

 

4 mât barque au vent debout :

(1) Naviguant sur bordée de bâbord, on abat pour prendre de la vitesse.

(2) On met la barre toute à gauche, et la brigantine à contre afin de faire pivoter le bâtiment.

(3) Les vergues du grand mât et du mât d'artimon sont brassées: leur toile et celle des focs faseyent, tandis que le vent, en coiffant les voiles de misaine, pousse le navire sur bâbord.

(4) Celui-ci perd rapidement sa vitesse mais à mesure qu'il vire, les focs, la grand-voile et la voile barrée se mettent à porter.

(5) Le navire reprend de la vitesse et les vergues de misaine sont brassées.

(6) Le navire retrouve son allure de croisière, toutes voiles tribord, amures.

 

4 mât barque au lof arrière :

(1) Sous voilure réduite, le navire se prépare à abattre.

(2) La brigantine est amenée et la barre à droite toute, tandis que grand-voile et voile barrée sont brassées carré.

(3) Le navire exécute une abattée sous le vent jusqu'à ce que celui-ci, venant de l'arrière, fasse porter plein grand-voile et voile barrée.

(4) Vent arrière, les voiles d'artimon et du grand mât déventent celles de misaine, qu'on peut alors librement brasser tribord.

(5) Les voiles de misaine portant plein, on peut brasser en pointe les voiles de grand mât sur tribord.

(6) Après avoir changé d'amure, la brigantine est hissée à nouveau.

 

Aujoud'hui, nous naviguons généralement sur des navires à gréement Sloop.

Les techniques sont différentes, le virement beaucoup plus facile et beaucoup plus sûr.

 

Quand les mouettes ont pied, il est trop tard pour virer (proverbe breton)

 

  

Virement vent debout

 

Virer de bord vent debout est une manœuvre franche : le bateau progressant au près, on lofe pour franchir le lit du vent et l'on se retrouve au près sous l'autre amure. C'est apparemment simple !

Cependant, durant cette évolution, les voiles faseyent; le bateau parcourt un angle d'environ 90° sans force propulsive, sur son erre; si cette erre est insuffisante, ou mal utilisée, le bateau peut refuser de franchir le lit du vent; Le virement de bord est alors raté, on manque à virer.  C'est parfois (par petit temps par exemple) simplement ridicule, d’autre fois ça peut devenir très dangereux.

 

Que l'on nous permette d'affirmer ici, posément mais fermement, qu'un virement de bord ne doit pas se rater. Et que l'on nous fasse l'honneur de croire que, si nous sommes un peu maniaques sur ce sujet, ce n'est pas sans quelque raison ! Le manque à virer, par temps frais, juste au vent d'une côte de préférence, est sans doute l'une des causes les plus fréquentes d'accidents, et d'accidents graves. Il constitue de toute façon une sorte d'échec qui révèle, sinon une mauvaise connaissance de son bateau et de la mer, du moins une mauvaise appréciation des conditions du moment.

En réalité, pour qu'un virement de bord soit parfaitement réussi, de nombreuses conditions entrent enjeu.  Il faut principalement :

-  avoir un bateau correctement toilé, bien équilibré;

-  tenir compte de l'état de la mer, savoir choisir son moment;

-  amorcer le mouvement à partir du près, avec de la vitesse;

-  manœuvrer correctement la barre et les écoutes, et savoir jouer sur l'assiette du bateau.

 

Par beau temps, il est évidemment possible de virer en observant simplement deux ou trois de ces principes, mais dès qu'il y a du vent, de la mer, précisément quand on ne peut se permettre de rater son virement, il importe que toutes les conditions de réussite soient réunies.

Nous décrirons donc ici, principalement, le seul virement qui vaille d'être décrit : le virement sur croiseur par vent frais, et sans hésiter à entrer dans les détails.

 

 

Venir au près

 

Donc le vent est frais, il y a un peu de mer, la côte approche (par exemple), et l'on commence à se dire qu'il va falloir virer.

Vieux proverbe breton : « Quand les mouettes ont pied, il est trop tard pour virer ».

On vient tout d'abord au près, si l'on n'y est déjà.  En effet, si l'on amorce le virement à partir d'une autre allure, l'angle mort que le bateau doit parcourir sans force propulsive est beaucoup trop grand, on risque fort d'épuiser son erre avant même d'atteindre la position vent debout.

Il importe donc (en tout cas dans les débuts) de se présenter au près et de se maintenir un moment à cette allure, le temps de s'assurer que l'on est effectivement au près, que le bateau est « à l'aise » et que l'on a assez de vitesse pour se lancer (une réserve d’erre suffisante).

- Enfin, le bateau est bien équilibré au près. Rappelons que le près est « l'allure où on a le meilleur gain au vent ».

Sur les multicoques, cette allure peut obliger le barreur à suivre un cap assez arrivé, avec un grand angle mort à franchir.  On peut donc être amené sur ces bateaux à prendre un près un peu différent de celui que l'on pratiquerait sur un monocoque, quitte à ralentir un peu.

- Le bateau est « à l'aise ». Les voiles sont bien réglées, à la limite du faseyement, la bastaque au vent, s'il y en a une, est bien raide et, par conséquent, l'étai est lui-même bien raide; il n'y a pas d'équipier à l'avant, surchargeant l'étrave qui a du mal à soulager à la lame et perturbant l'écoulement des filets d'air entre le foc et la grand-voile, on porte la toile du temps : ni sous-toilé, ce qui fait que le bateau n'a pas assez de puissance, ni surtoilé, ce qui le fait se vautrer; en bref, le barreur « sent » son bateau.

Sur un monocoque, on voit d'un coup d’œil que le bateau est « à l'aise » parce que la gîte n'est pas excessive.  Sur un multicoque, cet indicateur est absent.  Il faut exercer sa sensibilité en « jaugeant » les mouvements beaucoup plus complexes du bateau.

 

 

Le bateau de gauche peut virer :              

- car il est au près ;

- ses voiles sont bien réglées ;

- son étai est raide ;

- il porte la toile du temps ;

- il ne gîte presque pas ;

- les équipiers sont bien placés ;

- les écoutes sont claires.

 

On ne peut pas en dire autant du bateau de droite.

 

 

- On a assez de vitesse. La vitesse est d'autant plus précieuse que le bateau est plus léger et a donc moins d'inertie.  Ce qui est le cas de beaucoup de catamarans.

 

S'assurer que toutes ces conditions sont réunies, c'est s'assurer que l'on peut virer lorsque l'on choisira de le faire.

 

Toutes ces conditions ne sont rien d'autre que les conditions d'un bon près.  Le bateau ne doit pas être bridé, il suffit en réalité qu'il avance correctement, comme si de rien n'était.  En quelque sorte, il n'a pas besoin de savoir que l'on va virer.

 

On s'efforce tout de même de choisir, pour amorcer la manœuvre, un moment où la mer ne risque pas de lui « casser » l'erre et de contrarier son évolution, un moment où il est particulièrement vif, où il taille sa route avec entrain (c'est encore plus important sur un multicoque qui doit affronter deux, voire trois fois, la même vague).  Il faut savoir attendre si un ralentissement s'est produit pour une cause quelconque.  La vitesse est vraiment la condition essentielle au départ.

 

Mais la réussite est liée également à une parfaite coordination entre les équipiers : chacun a un rôle précis à remplir à un moment précis.  Pour obtenir cette coordination, il est souhaitable que le chef de bord donne à haute voix les ordres de manœuvre. On n'utilise plus guère le À-dieu-vat qui était d'usage jadis, sur les grands voiliers où le virement était souvent une manoeuvre scabreuse.

La façon de procéder la plus courante comporte trois (ou quatre) ordres successifs :

 

Pare-à-virer !

Vire !

Envoyez !

( Foc dessous ! )

 

Il paraît commode de décrire la manoeuvre à partir de ces ordres, chacun d'eux correspondant à une série d'actions précises.  Si l'on trouve cette façon de faire trop militaire, on peut, bien entendu, se créer un code à son idée, ou même régler toute l'affaire à coups de jurons et de barre de cabestan, si l'on n'a su recruter qu'un équipage de misérables...

 

 

Pare-à-virer

 

C'est le branle-bas général. On quitte les poses nonchalantes et chacun prend sa place.

 

On s'assure que toutes les manœuvres sont claires :

 

- L'écoute de foc au vent doit avoir du mou sur l'avant : de cette manière, le foc en passant la dégage des obstacles qui parsèment la plage avant.  Il est inutile, voire néfaste, de prendre un premier tour sur le winch (cabestan), car cela oblige l'embraqueur à le faire tourner inutilement et longtemps.

 

-  On s'assure que la manivelle du winch est à portée de main.

 

-  Les écoutes sous le vent sont prêtes à être larguées et à filer facilement; si elles sont abondamment tournées au taquet, on peut éventuellement défaire un ou deux tours pour larguer plus vite le moment venu, mais prudence ! Il ne s’agit pas de lâcher … le meilleur.

 

 Le seul moyen d'avoir une écoute claire, c'est de l'avoir en « tas bien pensé » dans le fond du cockpit donc, de ne pas l'avoir lovée.

De préférence, la mettre en glène ou en bitture.

 

- S'il est possible de raidir la bastaque sous le vent sans trop déformer la grand-voile, c'est aussi maintenant qu'il faut le faire. Sinon, on la raidira dès le début du mouvement, au premier faseyement de la grand-voile. On ne choquera l'autre bastaque qu'après avoir viré

 

- Lorsqu'ils sont prêts, les équipiers l'annoncent :       Paré pour le foc,  Paré pour ... 

   De même que le barreur, si ce n'est pas lui qui commande la manœuvre. Il peut être judicieux, quand l'heure du repas est proche, de s'assurer que tout est paré aussi en bas, dans la cuisine. 


1.  L'écoute de foc au vent a du mou.

2.  L'écoute sous le vent est, en tas bien « pensé » au fond du cockpit.

3.  La bastaque sous le vent est raidie.

4.  La grosse vague est passée.

5.  Vire !

 

 

Reste à choisir l'instant propice. Pour cela, il faut que le chef de bord ait bien intégré le rythme de la mer, qu'il n'aille pas lancer la manœuvre au moment où une série de grosses vagues survient : rien de tel qu'une grosse vague mal prise pour casser l'erre du bateau et le renvoyer sous l'amure de départ, c'est particulièrement vrai sur un multicoque.  Dans une mer très formée, il importe d'amorcer le virement sur le dos d'une vague, juste après le passage de la crête pour se trouver dans le creux au moment où l'on franchit le lit du vent et pour se faire aider par la vague suivante afin d'abattre du bon côté.

 

Vire !

 

C'est l'impératif catégorique, l'ordre absolu, total, irréversible. Il s'adresse au barreur, aux équipiers, au bateau, à l'univers.  Quand on dit « Vire ! » il faut que ça vire, et tout doit être mis en oeuvre pour virer. Précisons les rôles.

 

Rôle du barreur.

 

Un coup de barre brutal laisse souvent le bateau pantois : d'une part, le safran agit comme un frein; d'autre part, le virage étant trop court, l'erre s'éparpille.

A l'inverse, un maniement trop timide de la barre entraîne une aulofée trop lente, au cours de laquelle l'erre s'épuise également en pure perte.

 

Il faut donc, en principe, que le barreur pousse d'abord la barre doucement, sans s'énerver, puis amplifie peu à peu le mouvement: on dit qu'il accompagne le mouvement à la barre.  Mais souvent le bateau se débrouille très bien - et même mieux - tout seul.  Le barreur peut donc tout simplement lâcher la barre et ne s'occuper que de la grand-voile.  Que le barreur soit ou non obligé de tenir la barre, il est utile qu'il borde à fond la grand-voile en tirant, sans la larguer de son taquet, sur l'un des brins de l'écoute. La grand-voile agit alors comme un véritable gouvernail aérien, elle fait lofer le bateau; elle fait également gîter le monocoque, qui lofe encore plus; et, dans le mouvement, l'inertie du haut du mât fait qu'il lofe un peu plus encore...

 

                   

 Tout homme est fort qui sait s'y prendre (proverbe turc).

 

 

 

Rôle des équipiers.

 

Un (ou plusieurs) équipiers peuvent au besoin aider le barreur à border la grand-voile ou le faire à sa place. Un (ou plusieurs) musclés bordent le foc à fond, en tirant vigoureusement l'écoute entre filoir et winch (l'écoute restant toujours tournée, bien entendu).

 

Pendant l'aulofée, le reste de l'équipage peut ne pas demeurer inactif : il se porte sous le vent et un peu vers l'avant, pour accentuer la gîte et rendre le bateau plus ardent.  Si avec tout cela le bateau ne vire pas, une seule solution : changer de bateau.

 

En raison du mouvement de rotation du bateau, le vent apparent a adonné pour le foc et refusé pour la grand-voile.

 

 

Envoyez !

 

Cette fois, l'ordre concerne les équipiers de foc. Ceux-ci, pour le moment, n'ont pas touché à leur écoute, hormis les musclés.

 

Ne pas choquer trop tôt !

 

Le rôle des musclés est important, car le foc doit porter le plus longtemps possible durant l'aulofée, et il peut porter beaucoup plus longtemps qu'on ne le croit.  En effet, le mouvement de rotation du bateau a sur les voiles un effet particulier : le vent de la vitesse adonne pour le foc, alors qu'il refuse pour la grand-voile. En conséquence, la grand-voile faseye assez tôt (et l'on peut dès lors relâcher le brin de son écoute sur lequel on tirait), mais le foc peut porter pratiquement jusqu'au vent debout réel en utilisant le vent apparent né de la rotation du bateau, et cet ultime apport d'énergie peut être précieux (de plus, un foc qui faseye constitue un frein considérable). On ne doit donc choquer son écoute qu'au moment où il est brusquement déventé, et c'est à cet instant que doit retentir l'ordre « Envoyez ! »

 

1. Paré à virer !

Le bateau est au près. La vitesse est suffisante.

La bastaque (s'il y en a) sous le vent est bordée.

Les écoutes sont claires. Les équipiers sont parés.

 

2. Vire !

Le barreur pousse la barre (ou la lâche).   Barreur et focquier bordent « à mort » grand-voile et foc.

 

3. Ce n'est pas le moment de choquer le foc, même si la grand-voile bat déjà.

 

4. Envoyez !

L'ancien focquier choque le foc et tire, au besoin, l'écoute en avant du filoir; le futur focquier commence à récupérer le mou de son écoute.

 

5. Foc dessous !

Le nouveau focquier borde vivement son foc et le tourne.  Le barreur ramène la barre dans l'axe.

 

6. C'est fini, le barreur met le bateau au près.

 

 

 

 

Le cabestan servira à raidir l'écoute

 

 

 

Foc dessous ! (ordre facultatif)

 

Cet ordre signifie : « Établis, borde et règle le foc du côté du bateau situé sous le vent ».

Cette manœuvre est généralement effectuée naturellement dans la suite logique de « Envoyez ! », toutefois il peut être utile de donner l’ordre « Foc dessous » quand l’équipage n’a pas assez d’expérience pour avoir un synchronisme parfait.

 

Ne pas embraquer trop vite !

 

Un équipier file l'ancienne écoute en grand : il tire au besoin dessus en avant du filoir d'écoute. Le foc, faseyant lors du passage dans le lit du vent, dégage de lui-même la nouvelle écoute des obstacles de la plage avant à la condition expresse que la nouvelle écoute soit laissée complètement molle le plus longtemps possible. Pendant ce temps, le bateau continue d'évoluer sur son erre. Il franchit le lit du vent, il abat, la grand-voile a repris le vent d'elle-même sous la nouvelle amure, le barreur commence à ramener la barre dans l'axe pour freiner l'évolution.

C'est gagné ? Oui, sans doute, si l'on a effectivement attendu que le bateau ait largement franchi le lit du vent pour border le foc. Ici, l'erreur classique des équipages novices, la cause la plus fréquente du manque à virer, consiste à vouloir border le foc tout de suite sur le nouveau bord, dès que son point d'écoute est passé devant le mât.  Et l'on constate alors avec étonnement que le foc reprend le vent sous l'amure d'origine, se gonfle à contre (il est masqué), ce qui a pour conséquence immédiate de stopper l'évolution et d'amorcer une rotation en sens inverse. On a simplement oublié que le point de tire de l'écoute de foc n'est pas dans l'axe du bateau, mais nettement sur le côté.

Pour pouvoir border, il faut attendre que la ligne joignant le point d'amure du foc au point de tire ait, elle aussi, franchi le lit du vent ; pratiquement, que le point d'écoute batte à peu près à la hauteur des haubans.

 

Pour cela, il faut donc suivre avec attention le mouvement du foc. Or beaucoup d'équipiers novices, au cours de cette manoeuvre, paraissent fascinés par le mouvement de leurs propres mains tirant sur l'écoute et concentrent sur elles toute leur attention. Il faut pourtant s'en convaincre : une main honnête peut fort bien travailler sans qu'on la surveille, il vaut mieux regarder les effets de son travail. C'est d'ailleurs une règle générale pour toutes les manœuvres, mais elle prend son importance ici, dans le passage progressif du foc d'un bord sur l'autre.

 

Ne pas border trop tard !

 

Lorsque enfin le foc est bien passé, non seulement on peut le border, mais encore il faut faire vite. En effet, dès qu'il aura repris le vent, il deviendra très difficile à maîtriser. L'idéal est de le border et de tourner vivement l'écoute au moment précis où, étant passé, il ne peut encore travailler. Ce moment est assez bref, mais on le repère facilement avec l'habitude.  Et si l'on n'en profite pas, à nous les cabestans et les gros bras !  Il peut même devenir nécessaire, lorsque l'on n'a pas de winch, de faire une franche abattée : l'écoulement de l'air devenant turbulent, le foc oppose moins de résistance. Cette façon de procéder n'est qu'un rattrapage, mais il vaut certainement mieux agir ainsi que de revenir bout au vent et de perdre toute sa vitesse.

 

Cas d'un grand foc.

 

Des difficultés particulières peuvent survenir lorsque l'on porte un grand foc (ce qui se fait sur certains bateaux, même par temps assez frais). Un tel foc, dont le point d'écoute vient s'établir très en arrière du mât, a souvent de la peine à passer tout seul devant celui-ci lors du virement.  Si, par miracle, il ne s'accroche pas dans les haubans, il vient se coincer dans les taquets du mât ou dans les drisses. Il faut donc souvent qu'un équipier l'aide à passer.

 

La solution la plus efficace est que cet équipier parte de l'arrière au moment où le foc est libéré et l'accompagne durant tout son parcours en le tenant par le point d'écoute - en prenant bien soin de ne jamais le lâcher.  Sinon, le fringant jeune homme que l'on a vu partir joyeux vers l'avant n'est plus qu'un vieux boxeur groggy lorsqu'il revient dans le cockpit après son petit tour de ring.

 

Sur un bateau de grande taille, où la présence d'une personne à l'avant n'a que peu d'influence sur l'équilibre longitudinal, on peut coudre sur les grands génois un tacking-line, ou « bout à virer », en sangle au milieu de la bordure. On le manœuvre du pied de l'étai, un bras de chaque côté de celui-ci. On embraque la bordure main sur main jusqu'à ce que le point d'écoute ait passé devant le mât. L'équipier peut ensuite aider à border le foc sur le nouveau bord, d'abord en faisant filer l'écoute que l'on vient de choquer, ensuite en venant peser sur le point d'écoute lui-même jusqu'à ce que ses collègues du cockpit aient proprement tourné l'écoute au taquet.

 

Cas de deux focs.

 

Sur un bateau qui comporte deux focs, on borde d’abord le foc, ensuite la trinquette (donc, un seul équipier peut faire le tout). Si l’on fait l’inverse, en effet, le point d’écoute du foc bat furieusement contre la trinquette tendue comme un tambour, et risque de la détériorer rapidement. De plus, lorsque le foc est bordé en premier, on n’a ensuite aucun mal à border la trinquette; ce n’est pas le cas si l’on fait les opérations dans le sens inverse.

En conclusion.

Dans tous les cas de figure, une chose apparaît clairement : il faut que les équipiers se démènent et ne restent pas les deux pieds dans la même botte. Le succès de la manoeuvre dépend en grande partie de la façon dont ils se comportent: les petits nerveux risquent de pécher par excès de précipitation; les gros mous, engourdis par le mal de mer, gênés par la gîte, ont tendance à renoncer à border correctement le foc sous prétexte qu’on va le choquer tout de suite après!

En fait, plus le vent est frais, plus il importe de préparer calmement sa manoeuvre et de réunir d’abord toutes les conditions pour qu’elle réussisse. Il vaut mieux prendre son temps et être sûr de son affaire (même si cela conduit parfois à se rapprocher de l’obstacle pour prendre toute la vitesse nécessaire) plutôt que de se lancer dans des essais hâtifs qui sont en général de plus en plus mauvais.

 

 

 

Assurer le virement :

 

Lorsque l’on a tout lieu de craindre un manque à virer, on peut recourir à un expédient pour assurer la réussite de la manoeuvre.

On peut virer sans toucher au foc.  Le lit du vent passé, il prend à contre et oblige le bateau à abattre sous l’autre amure.  On ne l’envoie que lorsque le virement est assuré.  Naturellement, en agissant ainsi, on sacrifie toute la vitesse, et il faut ensuite laisser porter franchement pour en reprendre.

Lorsque, à la suite d’une fausse manoeuvre, ou parce que l’on manquait de vitesse au départ, le bateau s’est immobilisé voiles battantes, à peu près bout au vent, sur une petite unité, on peut encore le faire virer, en agissant vite.

 

1.  L'erre s'épuise, le bateau s'arrête, vent debout.

2.  On fait porter à contre foc et grand-voile, et on inverse la barre.

3.  On maintient foc et barre à contre.

4.  Quand le bateau abat franchement sous la bonne amure, on envoie le toc et on inverse la barre.

5. Puis on reprend de la vitesse au vent de travers; enfin, on pourra revenir au près.

 

 

 

Si le bateau est venu bout au vent bâbord amures, par exemple :

- écarter à la main le point d'écoute du foc sur tribord pour qu'il forme une poche et prenne à contre ;

- pousser la grand-voile sur bâbord en pesant sur la bôme pour limiter le dévers ;

- inverser la barre, c'est-à-dire la mettre à bâbord (en effet, le bateau va culer, et l'action de l'eau s'exercera sur la face arrière du safran).

Ainsi disposées, les deux voiles et la barre contraignent le bateau à éviter sur bâbord.

 

Lorsque ce mouvement est bien amorcé, lâcher la bôme, envoyer le foc, reprendre de la vitesse au vent de travers, puis revenir au près en bordant progressivement les voiles.

 

Sur les catamarans, il faut cesser ces manœuvres dès que le bateau a commencé à culer. Car si l'on insiste, le bateau peut prendre beaucoup de vitesse en arrière, ce qui risque de détériorer ses safrans.

 

Si l'on n'a pas exécuté rapidement cette manoeuvre, le bateau retombe peu à peu sous son amure de départ, et cette fois le virement de bord est définitivement raté. Il faut reprendre de la vitesse au vent de travers avant de pouvoir recommencer. On peut donc tout choquer et attendre que le bateau abatte de lui-même. On peut aussi accélérer le mouvement pour gagner du temps. On effectue alors les mêmes opérations que dans le cas précédent, mais dans l'autre sens : foc bordé à contre sur bâbord, grand-voile repoussée sur tribord, barre à tribord. On se retrouve ainsi plus vite à pied d’œuvre.

Conseil applicable seulement sur les très petites unités (bateau inférieur à 8 m) :

Lorsque l'on ne peut pas se permettre de rater son virement, la première chose à faire est de parer l'aviron : celui-ci peut donner, à point nommé, le petit coup de pouce qui assurera la réussite de la manœuvre et, par la même occasion, quelquefois le salut du bateau...

 

On peut être tenté dans ce cas-là d'assurer le virement au moteur. Outre le fait qu'il est vital de s'assurer qu'aucun filin ne traîne dans l'eau, il faut éviter de faire tourner le moteur plus que nécessaire, lorsque le bateau gîte.  Cette intervention doit donc être très brève, ce qui a pour inconvénient de décharger les batteries puisque le moteur ne tourne pas assez longtemps pour compenser la consommation d'énergie nécessaire au démarrage.

C'est donc une manoeuvre exceptionnelle.

 

Comportements divers :

 

Bien entendu, tous les bateaux ne se comportent pas de la même façon au virement de bord.  Ici, comme pour d'autres manœuvres, c'est essentiellement le poids du bateau, beaucoup plus que sa taille, qui entre en jeu : un bateau léger manque d'erre mais vire vite; un bateau lourd, même petit, évolue plus lentement mais a de l'erre; un multicoque est léger mais évolue lentement.

A poids égal, certains bateaux virent plus facilement que d'autres, car des questions de forme, d'équilibre, interviennent aussi.  D'une manière générale, on peut remarquer que les bateaux de conception ancienne et les multicoques montrent souvent une certaine répugnance à virer; les monocoques modernes sont plus dociles. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est de connaître les réactions de son bateau et de ne pas lui imposer un rythme de manoeuvre qui ne lui convient pas.

 

Faut-il, pour conclure, nuancer les principes énoncés au début?  Les façons de faire que nous avons décrites ici s'appliquent à des équipages encore peu expérimentés ou à des conditions de temps un peu difficiles Par beau temps, avec un équipage bien entraîné, un virement de bord peut s'effectuer sans cérémonie et en beaucoup moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. On peut fort bien virer, par exemple, à partir d'une autre allure que le près si l'on est capable d'accompagner aux écoutes le changement de cap progressif du bateau; un foc qui faseye trop tôt n'occasionne pas forcément un manque à virer si l'on dispose d'une bonne vitesse; on peut même virer sans beaucoup de vitesse si l'on manie de façon parfaite la barre et les écoutes.

Ce n'est pas une raison pour se laisser aller à l'insouciance.  Avec les monocoques, un danger se précise : en effet, on prend l'habitude de voir son bateau virer tout seul en quelque sorte, et, dès lors, on n'apporte plus assez d'attention à cette opération. À la longue, on ne sait plus réellement virer de bord et l'on en vient à rater sa manoeuvre, le jour où précisément il ne le faudrait pas : par mauvais temps, alors que l'on ne s'est même pas assuré la marge nécessaire pour pouvoir recommencer, en cas d'échec.

Quoi qu'il en soit, dans ce dernier cas, ce n'est pas le moment de s'affoler : si l'on ne peut plus virer vent debout, le virement lof pour lof reste une solution possible.

 

 

Lof pour lof après manque à virer :

 

Pour effectuer, et surtout pour réussir la manœuvre qui va suivre, il est entendu que l’on maîtrise parfaitement le virement lof pour lof dans des conditions plus normales, sinon ...

 

Cette manoeuvre est liée à une circonstance précise : on vient de rater un virement vent debout et l'on ne dispose plus d'assez de place sous le vent pour faire un nouvel essai; ou bien l'on est persuadé qu'on le ratera encore et on préfère ne pas insister.  Le virement lof pour lof est alors considéré comme un pis-aller, et dans certaines circonstances il importe de le réaliser très rapidement si l'on ne veut pas que ça aille de pis en pis ...

Le bateau ayant manqué à virer se retrouve immobile, voiles battantes, vent de travers.  Même si l'on a abattu rapidement jusqu'à cette allure (en bordant le foc à contre), il n'est pas possible d'arriver plus sans prendre d'abord de la vitesse.  On borde donc les voiles pour l'allure du vent de travers (à la rigueur, le foc un peu plus, la grand-voile un peu moins).  En abattant, on déborde peu à peu les voiles pour continuer à accélérer.

 

En approchant du vent arrière, on borde la grand-voile rapidement. Si le bateau évolue vite, il n'est pas toujours possible de la border complètement avant de virer - mais plus elle sera bordée, mieux cela vaudra.

 

Dès que la voile passe, l'écoute est choquée en grand, et même si l'on souhaite remonter rapidement dans le vent il est préférable de redresser la barre à ce moment, sinon l'aulofée risque de dépasser les espérances. On aura pris soin d'autre part de ne pas laisser filer l'écoute de foc d'un bord sans l'embraquer de l'autre, sinon le foc part en avant de l'étai et son point d'écoute s'accroche dans celui-ci lorsque l'on veut le border. Dans un moment délicat, ce gag peut être d'un goût détestable.

 

On s'en est sans doute aperçu, il y a une très nette différence d'ambiance entre un virement vent debout et un virement lof pour lof.

Le virement vent debout se fait « à l'énergie », et la seule question qui se pose est : « Le bateau parviendra-t-il, oui ou non, à franchir le lit du vent ? »

 

Lorsque l'on vire lof pour lof, en revanche, on est tout à fait sûr de réussir à changer d'amure, mais on souhaite le faire, sur la pointe des pieds, et l'incertitude porte plutôt sur les prolongements éventuels de la manoeuvre : le spi va-t-il se tenir tranquille, ne va-t-on pas partir en aulofée à la sortie du virement, et casser quelque chose ?

Il n'est pas inutile d'évaluer les risques que comporte chaque type de virement; ils sont fort différents selon que l'on est au large ou près de terre.

 

1.         L'erre s'épuise, le bateau s'arrête.

2 et 3.  Il faut abattre au plus vite : foc et barre à contre, le bateau cule et abat.

4.         Ici, il faut inverser la barre et envoyer le foc.

5.         Si on laisse le foc à contre, le bateau n'abattra pas plus, la situation est sans issue.

6.         On accompagne l'abattée avec les écoutes, il faut acquérir un maximum de vitesse.

7.         Un lof pour lof rapide, mais pas trop brutal.

8.         Enfin, on peut lofer sous la nouvelle amure.

 

 

 

Conclusion :

 

Au large et par petit temps, un virement vent debout raté est sans gravité : on a de l'eau à courir, il suffit de recommencer. Un virement lof pour lof, si le vent est frais, paraît plus risqué : il est toujours désagréable de casser quelque chose alors que l'on est loin d'un abri.

 

Près de terre, c'est l'inverse. Un virement vent debout raté, si l'on n'a pas assez de marge pour recommencer, peut mener tout droit à l'échouement.

Un virement lof pour lof est souvent plus sage : s'il y a trop de vent, il suffit d'affaler le spi; s'il y a encore trop de vent, il n'y a qu'à affaler la grand-voile, et dès lors on vire sans problème.  Il ne faut pas avoir honte des solutions très modestes. Les très vieux marins en ont plein leur sac.

 

 

On a choqué en grand l'écoute tribord sans reprendre le mou de l'écoute bâbord: le foc est passé devant l'étai, il est impossible de le border.

 

 

 

 

Avertissement :

 

Une grande partie de ce texte est inspiré des cours de voile de l' École des Glénans.

 

Jean-Marc HATCHIKIAN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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